Plus les technologies de calcul progressent et plus la puissance de calcul augmente, plus les composants informatiques se miniaturisent. Il faut reconnaître que les progrès réalisés dans le domaine du calcul au cours des deux dernières décennies sont tout simplement stupéfiants. Cela dit, l’utilisation de matériaux massifs pour réduire la taille des composants de calcul a ses limites.
La nanotechnologie parut un temps être la solution pour reculer ses limites, car les méthodes de nanofabrication descendantes ou « top-down » permettent de créer des architectures à base de nanostructures plus petites à partir de matériaux massifs. Les méthodes ascendantes ou « bottom-up » permettent de créer des nanomatériaux de taille ultraréduite, c’est-à-dire encore plus petits que ce que les autres approches de fabrication sont capables de produire. Bien que plusieurs nanomatériaux soient déjà utilisés dans le développement de technologies de calcul de nouvelle génération, les matériaux 2D n’en sont pas moins une option intéressante. Tout d’abord parce qu’ils sont ultraminces et que leur surface est hautement personnalisable, mais aussi en raison de leurs propriétés électroniques, à savoir haute conductivité ou semi-conductivité, selon le matériau 2D utilisé.
En matière d’approches, les tâches de calcul peuvent être réparties en deux grands domaines : la perception et le raisonnement. La perception repose sur des opérations de reconnaissance d’objets et de traitement du langage et est facilitée par le calcul matriciel en parallèle. Quant au calcul logique en série, il est utilisé pour résoudre des tâches de raisonnement.
Les architectures informatiques de pointe actuelles se rapprochent toutes de l’architecture de von Neumann, avec des unités de calcul et de mémoire physiquement séparées. Cependant, les utilisateurs tentent d’appliquer cette architecture unique tant aux tâches de perception qu’à celles de raisonnement. Or, les tâches de perception et de raisonnement présentent des exigences différentes en matière de calcul. Par conséquent, une même architecture peine à exécuter ces deux types de tâches au mieux de ses capacités.
D’une part, pour ce qui est des tâches de perception, le débit de données entre l’unité de traitement et l’unité de mémoire est limité. D’autre part, il est techniquement possible d’exécuter les tâches de raisonnement de façon plus efficace, mais, pour ce faire, les architectures de calcul ont besoin d’un plus grand nombre de transistors par unité de surface. Bien que de nombreux progrès aient été réalisés pour réduire la taille des transistors en vue d’en placer davantage dans une zone donnée d’une puce, il y a une limite à la réduction de l’épaisseur du film de silicium dans un transistor miniature.
En effet, en deçà de 3 nm d’épaisseur, les propriétés des transistors au silicium commencent à se dégrader. D’ailleurs, même si les concepteurs sont capables de réduire la taille de ces transistors, ces derniers ne constituent pas nécessairement la meilleure option. D’autres matériaux, plus efficaces, semblent en effet plus indiqués, à commencer par les matériaux 2D. Étant par nature très minces, les matériaux 2D peuvent être utilisés pour fabriquer des transistors miniatures – ainsi que d’autres dispositifs nanométriques – sans dégradation des performances. Les matériaux 2D offrent donc une solution pertinente pour réduire la taille des transistors dans ces architectures afin de créer des architectures logiques plus efficaces. Ils offrent en outre la possibilité de créer des dispositifs de mémoire plus efficaces pour exécuter des opérations de calcul matriciel.
Plusieurs types de matériaux 2D peuvent être utilisés, par exemple des feuilles de graphène hautement conductrices, divers dichalcogénures de métaux de transition semi-conducteurs (TMDC) aux propriétés très isolantes ou encore le nitrure de bore hexagonal (h-BN). Ces matériaux – il en existe des centaines, en raison du grand nombre de TMDC – présentent chacun des caractéristiques uniques qui peuvent être exploitées et leurs propriétés peuvent être facilement adaptées. Il est en outre possible de les empiler physiquement – et non chimiquement – les uns sur les autres afin de créer des hétérostructures de van der Waals (vdW), lesquelles tirent parti des caractéristiques des couches du matériau. De plus, chaque combinaison spécifique apporte à l’hétérostructure des propriétés uniques, ce qui fait des matériaux 2D une classe de matériaux hautement personnalisable et polyvalente pour la création de structures et de dispositifs miniatures.
Une propriété caractéristique des matériaux 2D réside dans le fait que leurs électrons sont confinés dans une dimension et peuvent se déplacer librement dans deux dimensions – d’où leur nom. Ce confinement électronique permet aux feuilles de matériau 2D d’avoir un contrôle plus précis de la tension de grille. Il peut aussi offrir une immunité contre l’effet de canal court, lequel survient lorsque la longueur du canal est relative par ordre de grandeur aux largeurs de couche d’appauvrissement de la jonction source et drain.
Grâce à leur épaisseur à l’échelle atomique, les matériaux 2D pourraient offrir une nouvelle solution matérielle permettant d’utiliser les effets quantiques et de construire du matériel de calcul plus performant et même rompre le statu quo où les architectures matérielles existantes ont atteint les limites de la miniaturisation.
Comme nous le disions plus haut, les applications de calcul matriciel sont un des domaines clés dans lequel l’utilisation de matériaux 2D pourrait apporter des options de calcul plus personnalisées. Dans les applications de calcul matriciel, les composants de base sont, selon l’architecture, des dispositifs de mémoire ou des dispositifs à transistors. Un certain nombre de matériaux 2D conviennent à la création de mémoires et de transistors, par exemple des transistors à ionisation, des neurotransistors, de la mémoire flash ou des transistors à effet de champ (FET) à hétérostructures vdW.
En vertu de leurs caractéristiques et propriétés particulières, les matériaux 2D ont le potentiel d’améliorer les performances de la mémoire et pourraient être utilisés pour construire des matrices de dispositifs de mémoire 2D capables d’exécuter plus efficacement les opérations de calcul matriciel. Les matériaux 2D permettent aussi d’exécuter davantage d’opérations de calcul matriciel, car ils impliquent une moindre consommation d’énergie, ainsi que des niveaux de précision et d'ajustement plus élevés. En utilisant soit la porte NAND soit la porte NOR, il est possible d’éviter les principaux problèmes qui affectent les dispositifs de mémoire massive dans ces domaines.
Utiliser une architecture de calcul matriciel basée sur des matériaux 2D dans des applications d’IA présente un certain intérêt, en particulier en ce qui concerne les réseaux neuronaux. Les cellules de mémoire de ces applications doivent répondre à des exigences spécifiques. Dans le cas des réseaux de neurones artificiels (ANN), les matériaux 2D sont susceptibles de répondre aux exigences des dispositifs de mémoire non volatile qui nécessitent un système de codage de signal d’entrée à amplitude spécifique.
En ce qui concerne les réseaux de neurones à impulsions (SNN), l’intégration de dispositifs de mémoire à base de matériaux 2D et de transistors à ionisation permet la mise en œuvre réaliste du biomimétisme. Les matériaux 2D formés par dépôt chimique en phase vapeur (CVD) peuvent présenter quelques défauts. Si cela représente un inconvénient dans certains domaines, cela s’avère néanmoins utile dans les applications de biomimétisme, car cela confère au matériau 2D des propriétés de transport anisotrope qui facilitent la migration des ions et le couplage entre dispositifs, ce qui se rapproche de la manière dont fonctionnent les synapses neuronales dans un environnement naturel.
Les concepteurs s’intéressent également à la possibilité de mettre en œuvre des mémoires magnétiques à base de matériaux 2D dans des applications de calcul matriciel. Les matériaux 2D possèdent des propriétés qui peuvent améliorer les performances de ce type de dispositif, mais un problème s’oppose encore à la mise en œuvre de cette technologie, à savoir qu’elle nécessite des matériaux 2D plus résistants aux facteurs environnementaux que ceux qui ont été testés jusqu’à présent.
L’autre domaine pour lequel les dispositifs à base de matériaux 2D présentent un certain intérêt est celui des applications de calcul logique. En calcul logique, le défi (physique) à relever consiste à miniaturiser les dispositifs et augmenter la densité des transistors. Avec de nombreux matériaux, à mesure que l’on miniaturise, il devient plus difficile de réduire proportionnellement la tension à cause des fuites de courant dans les matériaux diélectriques à couche mince utilisés à côté des sections conductrices. C’est pourquoi des tests sont réalisés pour utiliser des matériaux 2D dans ces applications, car au contraire d’autres matériaux, la miniaturisation n’implique pas de dégradation de leurs propriétés.
Dans la technologie actuelle du silicium sur isolant, il est possible de créer des transistors à canaux très fins. Cependant, lorsque l'épaisseur de la couche de silicium est inférieure à 3 nm, la mobilité des porteurs de charge se dégrade très rapidement, contrairement aux matériaux 2D où les propriétés des porteurs de charge restent inchangées. Comme il existe parmi les matériaux 2D des matériaux isolants comme des matériaux conducteurs, les concepteurs peuvent empiler les couches les unes sur les autres, ainsi que des couches de matériaux 2D conducteurs ou semi-conducteurs sur des substrats isolants conventionnels. Les transistors à base de matériaux 2D bénéficient ainsi des mêmes avantages que la technologie silicium sur isolant, mais sans dégradation des performances à des échelles inférieures, et peuvent améliorer les performances dans la forte pente sous le seuil et dans le courant de commande et procurer une meilleure immunité contre l’effet de canal court.
Aussi, la possibilité d’empiler des matériaux 2D dans des hétérostructures vdW ouvre le champ des possibilités aux applications de calcul logique – notamment des structures de portes logiques utilisant la surface disponible de façon plus efficace – et permet l’intégration de ces hétérostructures sans aucun problème d’incompatibilité avec le réseau. En ce qui concerne les puces de calcul, un certain nombre de portes logiques sont utilisées. L’ensemble du système logique peut être construit en utilisant soit la porte NAND soit la porte NOR. Dans les architectures à base de matériaux massifs, seule la surface supérieure est utilisée dans la conception du dispositif, ce qui nécessite deux bornes d’entrée (deux transistors). En revanche, les systèmes logiques similaires construits avec des matériaux 2D ne nécessitent qu’une seule borne transistor pour le signal d’entrée, car les surfaces supérieure et inférieure des matériaux du canal peuvent être réglées avec efficacité.
L’intégration verticale des puces, une méthode courante pour augmenter la densité des puces, pourrait elle aussi tirer profit de l’utilisation de matériaux 2D. Les matériaux massifs contiennent des distorsions de réseau qui donnent lieu à une faible densité d’interconnexion. Or, avec des matériaux 2D, il n’est pas nécessaire de concevoir une adaptation de réseau, car ces matériaux sont directement formés sur le substrat cible et les matériaux redondants sont éliminés par gravure. Lorsque des hétérostructures sont fabriquées, toutes les couches suivantes sont formées au-dessus de la couche fonctionnelle précédente. Il n’y a pas non plus de limitations entre les couches fonctionnelles voisines dans les hétérostructures vdW, de sorte que chaque couche peut être empilée indépendamment, qu’il s’agisse d’une couche de calcul ou d’une couche de mémoire. Les concepteurs pourraient utiliser cette approche à l’avenir pour augmenter l’efficacité énergétique du mouvement des données et le débit de données dans les futures architectures de calcul logique.
Alors que nous commençons à miniaturiser les architectures de calcul pour construire la prochaine génération de matériel de calcul, il pourrait être judicieux de créer des systèmes spécialement conçus pour les applications de calcul logique ou matriciel. La taille réduite et les propriétés électroniques des matériaux 2D offrent un moyen de développer :
Ainsi, même si la mise en œuvre de cette technologie risque de prendre un certain temps, les matériaux 2D présentent un intérêt majeur pour les futures applications de calcul.